mardi 20 janvier 2009

Quand Newsweek salue le modèle français



The Last Model Standing Is France

Les Etats-Unis en général et la presse américaine en particulier ne sont jamais très tendres avec la France. Le pays est jugé arrogant, d'autant plus que ses intellectuels, et parfois ses gouvernants, s'estiment dans l'obligation quasi-philosophique d'éreinter le "système" américain. En règle générale, donc, la guerre des systèmes fait rage. Il y a toutefois des exceptions notoires. Personne n'a oublié, quelques mois après l'invasion de l'Irak et le très violent désaccord entre Paris et Washington sur cette initiative, l'article publié par le National Journal et intitulé: "les Français avaient raison".

Cette fois, c'est Newsweek qui fait amende honorable avec un édito intitulé "Le dernier modèle debout: la France". En pleine crise financière (née à Wall Street) et à l'orée d'une récession qui s'annonce très sévère outre-Atlantique, avec des milliers de faillites et des millions de chômeurs en plus, le magazine ouvre ses colonnes à Holger Schmieding, l'économiste en chef chargé de l'Europe à Bank of America.

Pour lui, pas de doute, le modèle britannique a échoué: en "mettant le turbo pour doper le cycle économique au moyen d'un endettement public ou privé excessif", Gordon Brown a mis les ménages en danger. Pour sa part, le modèle allemand – orthodoxie monétaire et fiscale – n' a pas donné de meilleur résultat, surtout parce que c'est celui de la Banque Centrale Européenne. Autant, explique l'auteur, la BCE a eu raison de ne pas baisser les taux autant que la Fed, évitant ainsi à l'Europe l'implosion du mécanisme de crédit immobilier, autant elle n'aurait pas dû les augmenter à mi-2008, au moment où le pétrole était à son plus haut. Cette dureté façon Bundesbank "a affaibli l'économie au pire moment". Même un pays solitaire comme le Danemark, souvent loué pour sa politique économique "moderne", a dû trouver de l'aide auprès de la BCE fin 2008 quand sa monnaie a été attaquée.

Non décidément, c'est le "pragmatisme à la française" qui a le vent en poupe. L'habitude que les gouvernants français ont d'intervenir dans l'économie au profit de certaines industries et d'objectifs strictement nationaux a souvent été accueillie avec un "profond scepticisme" à l'étranger, mais il redore son blason quand l'heure est aussi grave. La "méfiance très française à l'égard des forces du marché" est aujourd'hui largement validée par la brutale contraction du crédit et la mise à nu des dérives de la haute finance. Encore que, glisse ensuite Schmieding, plus perfide, "un examen plus précis montrera que tous les excès du marché découlent souvent de mauvais signaux envoyés par les gouvernements et les banques centrales".

La chute de l'édito, on s'en serait douté, est donc moins laudatrice. Certes le modèle français est à la hausse, mais cette renommée est une... mauvaise nouvelle. Car si l'interventionnisme au coup par coup se répand, l'Europe pourrait devoir "payer un prix élevé en terme d'opportunités et d'innovations perdues". L'Europe risquerait alors de sortir de la crise "déclassée" à nouveau face à des Etats-Unis plus flexibles et donc mieux équipés pour rebondir.

Démonstration intéressante, mais un peu courte. Schmieding escamote un élément important. Les Américains, en dépit d'un marketing planétaire habile qui les fait passer pour des libéraux sans états d'âme, savent être aussi interventionnistes et pragmatiques que les Français, et surtout, aussi nationalistes. De leur politique agricole à leurs aides à la sidérurgie, en passant par le soutien récent aux banques, les exemples abondent. Sans oublier les centaines de milliards de dollars que les contribuables ont mobilisés pour aider les banques et soutenir l'économie. Bref, derrière les slogans, la frontière entre les systèmes est plus floue qu'il n'y paraît.

http://www.e24.fr/chroniques/article45285.ece

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